PLANTES A BOIRE. DU PETIT DEJEUNER AU DIGESTIF, HISTOIRES HUMAINES DES PLANTES A BOISSON
L'eau ferrugineuse, NON!
Water, l'eau morne plaine
L'eau est sans saveur. On peut bien déceler quelques différences d'une eau à une autre, un peu plus de minéralité, un léger soupçon de sucre ou un goût accusé de sel. Mais tout cela reste sans grand relief: même lorsqu'elle est frisante ou pétillante, l'eau reste plate, plate et morne dans l'ensemble. Signe que notre civilisation n'a pas fini de nous étonner: il existe maintenant des bars à eaux. Accoudé au comptoir ou attablé, on y sirote des eaux venues de la fonte des neiges de l'Himalaya ou arrachées aux tréfonds des sources d'eau douce perdues en mer. Laissons aux futures sociologues le soin de commenter les dérives de notre société égarée. Dans les années 1970, le slogan d'une célèbre marque d'eau minérale claironnait «Buvez, pissez», rectifié dans la foulée par un «Buvez, éliminez» qui servira des années durant. Souscrivons à ce message qui semble cantonner l'eau dans sa fonction la plus élémentaire et capitale, soulignons au passage que l'eau est tout de même le composant essentiel à toute boisson, et écourtons cette introduction pour gagner le monde des boissons riches en saveurs.
Appréhender sans appréhension
Durant des millions d'années, l'homme s'est contenté d'eau pour se désaltérer. Si une part de l'élément liquide était aussi apportée par la nourriture, il n'y avait pas d'élaboration de boissons comme on en a connu par la suite. À leur apparition, l'homme avait déjà bien rodé tous les outils physiologiques mis à sa disposition par la nature pour développer son goût. Car loin d'être un confort ou un bénéfice destiné à assouvir la gourmandise, le goût, chez tous les animaux, est d'abord affaire de survie - la perception du «bon goût» est ensuite le fait d'une approche intellectuelle. Aussi son apprentissage est-il précoce: il se fait pendant la vie intra-utérine.
Un petit goût clans le nez
Tous les sens sont en éveil sitôt qu'il s'agit de faire connaissance avec un aliment potentiel, de l'identifier ou de supputer sa dangerosité. Mais c'est surtout l'olfaction qui prédomine. À la naissance, la reconnaissance entre le bébé et sa mère est olfactive, c'est ainsi qu'il peut tout seul détecter le sein nourricier. Les neurones sollicités pour l'olfaction sont les plus exposés, on peut dire qu'ils sont en première ligne, les plus détruits, les plus endommagés par l'exploration. Aussi sont-ils renouvelés sans cesse, un cas unique dans tous les systèmes sensoriels. La perception du goût est complexe. On sait aujourd'hui que l'olfaction capte les odeurs, les arômes, que la gustation identifie les saveurs, et que la somesthésie est sensible au piquant, au pétillant, au froid et à la texture. Mais les autres sens sont sollicités, ils viennent en écho à l'expérience, l'apprentissage, la culture. L'ouïe, par le plop d'un bouchon ôté, le glouglou lorsqu'on verse la boisson dans le verre, nous met en éveil. Le toucher, lorsqu'on tâte délicatement la fermeté de la mousse onctueuse d'une bonne bière nous met l'eau