MONSIEUR PHILIPPE, L'AMI DE DIEU
Extrait
LE GARÇON BOUCHER
Quand il passait dans la rue, on se disait en le montrant du doigt : «Tiens ! voilà Philippe le boucher», comme on disait : Voilà Jésus le charpentier.
Papus
Portrait d'un «homme ordinaire»
Selon son disciple Paul Sédir qui y voyait l'invention admirable de la miséricorde divine pour le xix* siècle, Monsieur Philippe se présenta avant tout comme un homme ordinaire, «ni mendiant pitoyable, ni malade effrayant, ni philanthrope célèbre, ni chef d'école persécuté, ni hors-la-loi pourchassé, ni en haut de l'échelle sociale, ni en bas ; juste au milieu, au milieu de tout, au point neutre». Car tel fut selon lui «le subtil stratagème de la Sagesse divine, se dérobant aux curiosités des pervers grâce à l'insignifiance de la forme humaine par qui elle opérait».
Dans les années 1880, quand il commença à faire parler de lui dans la presse locale, puis, quelques lustres plus tard, dans la presse internationale, dans les salons des aristocrates et dans les bureaux des ministères, rien, dans son costume, ses manières ou son langage, ne distinguait en effet Monsieur Philippe du commun des hommes. «Au premier abord, rien dans le Maître ne frappait. Petit, carré d'épaules, de corpulence assez forte et légèrement bedonnant, d'aspect jovial, on l'eût volontiers pris pour un petit rentier débonnaire. Des cheveux bruns, abondants, partagés au milieu, bordaient un front haut et découvert. Un pli assez marqué séparait ses yeux qui, par contraste, étaient bleus, sous des paupières tombantes, indice de prédisposition à la clairvoyance. Il portait une forte moustache, à moitié tombante. Un cou ramassé supportait cet ensemble physionomique.» En 1902, un rapport de police en donne un signalement très voisin : «1,68 m environ, cheveux noirs, quelques fils blancs, moustache noire forte, yeux bruns, à fleur de tête, ce qui les fait paraître assez gros, mais très vifs et scrutateurs ; nez assez fort, visage plein, corpulence assez forte et complexion vigoureuse, marche à grands pas en se penchant en avant suivant l'allure des campagnards. Toujours bien vêtu et, généralement, coiffé d'un feutre noir et mou». Les deux descriptions qu'on vient de lire sous des plumes bien différentes dépeignent Monsieur Philippe conformément aux quelques portraits de lui qui nous sont parvenus. «Par intervalles - écrit encore Sédir - la bonté de son sourire, auquel participaient toutes les lignes d'une physionomie extrêmement expressive lui communiquaient un charme irrésistible ; ou bien l'acuité soudaine du regard surprenait...» Ce regard scrutait parfois un horizon lointain et à d'autres reprises devenait soudain d'une fixité impossible à soutenir. La couleur de ses yeux changeait, qui paraissaient le plus souvent petits et gris d'acier, d'autres fois bruns, ou même bleus par contraste. Selon Sédir, «son aspect physique, sa corpulence, son teint, étaient assez variables ; il eut quelques maladies, des migraines, des inflammations aux pieds, etc. ; et dans ces cas-là, il se faisait quelquefois soigner par un médecin.
«Sa constitution physique offrait quelques particularités extraordinaires. Ainsi, il était presque impossible de l'entendre lorsqu'il parlait au téléphone; la coupe des cheveux ou des ongles le faisait souffrir ; il avait deux malléoles aux talons ; de sorte qu'un jour, s'étant donné une entorse en sautant un fossé, il resta deux ans éclopé, sans que personne puisse le soulager, et ne se guérit qu'en faisant une deuxième chute. En outre, ses os étaient durs comme du diamant.»