MAINTENANT OU JAMAIS - LE MIRAGE DU FUTUR
Lettre d'un ami
Cher Daniel
Il est très difficile de se dire, par courrier, des choses essentielles. Sculpter l'indicible, c'est plutôt ton fort que le mien. J'ai une pente "cérébrale", qui fait que les mots, chez moi, vont toujours trop loin, ou pas assez. Mais tu comprends les choses à demi-mot. Je vais donc me lancer dans le vide, sachant que tu sauras repêcher ce qui en vaudrait la peine.
Ce que je ressens lorsque tu animes des réunions, c'est que la plupart des gens y viennent avec leur écheveau de souvenirs, de peurs et d'espoirs, enroulés autour de leur "personne", et qu'ils s'attendent à ce que tu indiques à cette "personne" le chemin de "l'éveil".
Tu as beau répéter sur tous les tons qu'il n'y a pas d'éveil tant que cette "personne" reste là, que l'éveil c'est justement la fin de cette "personne", parce que cette personne n'est rien d'autre qu'un concept, l'illusion d'être "un sujet, observant des objets" et que c'est cette illusion qui empêche le non- manifesté de se manifester...
Tu es, malgré toi, forcé de passer presque tout ton temps à traiter quand même de cette illusion, comme si elle était le véritable acteur de nos actions, comme si elle était le héros de 1"histoire. Tu dis qu'on doit cesser de désirer l'impossible, qu'on doit commencer par accepter ce qui est, qu'on ne doit ni tenter de le nier ni vouloir s'y accrocher, etc. Mais dans tout cela, on oublie facilement que l'acceptation n'est pas un acte psychologique
Le sentiment d'être"le héros de l'histoire"est lié à l'illusion du temps. Or, c'est dans"l'épaisseur"du temps que se passent les réunions que tu as animées, en ce sens que les"questions"qui te sont posées partent du temps et tes"réponses", même lorsqu'elles tentent de s'arracher à son emprise, restent piégées par l'espoir des"questionneurs"qui"attendent"de revenir au temps. C'est pourquoi, quand tu leur parles du présent, ils l'entendent comme une fraction de temps
Peut-être, alors, faut-il refuser, d'emblée, de partir du temps. Peut-être faut-il n'accepter de parler qu'en partant de l'éternel présent, de l'Être comme seul sujet réel. On ne part pas de +1 ou de -1, mais de 0. Du vide, du silence, du non-manifesté.
0 est la seule réalité. +1-1 n'est qu'un reflet brisé de 0, comme les myriades de reflets du soleil à la surface de la mer ne sont que des images du seul et même soleil.
Il faut n'accepter de parler qu'en partant du soleil. Pour revenir au soleil. Il n'y a que cela de vrai. Il s'agit de donner consistance à cela. Ne donner aucune chance au reflet de se prendre pour le soleil, aucune chance à la"personne"d'usurper la place de l'Être.
Adel RIFAAT
12/12/2008"